Paroles d’inquisiteurs

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Parce que nous, susdits frère Jacques, par la miséricorde divine évêque de Pamiers, et frères Bernard Gui et Jean de Beaune, de l’ordre des Prêcheurs, inquisiteurs de la dépravation hérétique dans le royaume de France députés par le Siège apostolique, par enquête légitimement faite et par vos confessions reçues en jugement, trouvons et constatons que toi, Arnaut Fabre de Montaillou et toi, Ghuilhem Autier, du même lieu et toi, Alaïs, épouse d’ en Vernaus, du village de Vernaus, de la paroisse du Puech et toi, Alaïs, épouse d’Arnaut Fabre, de Montaillou et toi, Alamanda, épouse de Joan Guilabert et toi, Guilhème, épouse de feu Guilhem Benet, de Montaillou, au diocèse de Pamiers, vous vous êtes rendus si gravement et de manière si énorme coupables en matière d’hérésie, comme il vous a ici été publiquement lu et déclaré intelligiblement en langue vulgaire, pour cette raison nous, évêques et inquisiteurs susdits, comme vous voulez, d’après ce que vous affirmez, revenir à l’unité ecclésiastique et abjurez de nouveau toute hérésie et jures et promettez d’obéir simplement aux ordres de l’Église et aux nôtres et après que vous avez obtenu de nous l’absolution des sentences d’excommunication dont vous étiez liés à cause des fautes commises en matière de crimes susdits, les présents jour et lieu vous ayant été assignés péremptoirement par nous pour que vous entendiez la sentence définitive, siégeant au tribunal, les sacro-saints évangiles de Jésus-Christ étant placés devant nous pour que notre jugement procède de la face de Dieu et pour que nos yeux voient l’équité [Ps 16, 2], du conseil pris diligemment à ce sujet auprès de nombreux sages et experts en droit canonique et civil tant séculiers que religieux et d’autres hommes avisés,

nous vous condamnons par sentence dans et par cet acte, toi, Arnaud Fabre et toi, Guilhem Autier, susdits, à faire pénitence des choses susdites en prison perpétuelle au mur situé dans l’Aude et la cité de Carcassonne, et vous autres susnommés en prison perpétuelle au mur du Château des Alamans, où vous recevrez seulement le pain et l’eau.

Et parce que toi, Alazaïs, épouse d’en Vernaus, du village de Vernaus, de la paroisse du Puech et toi, Alaïs, épouse d’Arnaut Fabre, de Montaillou et toi, Alamanda, épouse de Joan Guilabert et toi, Guilhème, épouse de feu Guilhem Benet, de Montaillou, au diocèse de Pamiers, susdites, vous vous êtes rendus plus gravement et de manière plus énorme coupables dans le fait de l’hérésie, nous vous condamnons par sentence et par cet acte à la prison perpétuelle au mur strict du susdit château des Alamans, enchaînées et les fers aux pieds, où vous recevrez seulement le pain de douleur et l’eau de tribulation.

Le livre des sentences de Bernard Gui / trad. et annotations par Julien Théry.- CNRS éd., 2018.-

Ricarda épouse de feu Guilhem Doumergue … a entendu leur prêche pestifère …

…à l’époque où elle fut malade de la maladie dont elle mourut, elle fut hérétiquée par les hérétiques Pèire Autier et Ameil et reçue dans leur secte selon la manière et rite exécrable des hérétiques et reçut d’eux le consolament – ou plus véridiquement, désolement – et mourut peu de jours après ; et il ne nous apparaît pas qu’elle ai fait pénitence de ceci ; et la susdite hérétication fut faite il y aura trois ans lors du présent Car^me, en présence de Raimon Doumergue, son fils, de Guilhème, épouse de ce dernier.

 …item que Guilhem Ysarn, fils de Géraud Ysarn de Villemur, lors de son ultime maladie dont il mourut, fut hérétiqué et reçu dans la secte damnée des hérétiques par Jacques Autier, hérétique, selon la manière et rite exécrable des hérétiques …

… la procédure ayant été respectée comme il se doit, après nous être fait communiquer et avoir eu d’abord le conseil de nombreux sages et experts dans les deux droits, tant canonique que civil, et de religieux, le présent jour ayant été assigné péremptoirement pour que soit rendue la sentence définitive sur les faits susdits, les sacro-saints Evangiles étant placés devant nous, nous rendons sentence définitive par cet acte et déclarons que la susdite Ricarda fut croyante des hérétiques et mourut hérétique ; et nous la condamnons comme hérétique ; et nous ordonnons qu’en signe de perdition, les reste de l’une et de l’autre, s’ils peuvent être distingués des autres fidèles, soient exhumés et brûlés à l’extérieur du cimetière.

Sentence de destruction de deux maisons

     Item, nous ordonnons que la maison dans laquelle ladite Ricarda et celle dans laquelle ledit Guilhem furent hérétiqués soient détruites de fond en comble, de telle sorte que chacune de ces maisons soit à jamais interdite à l’habitation  et que ce qui fut un lieu d’accueil des perfides devienne lieu des ordures et qu’elles deviennent fosses à fumier et à lieu fétide ; et nous soumettons par cet acte à une sentence d’excommunication les contrevenants et rebelles s’il s’en trouve.

NOTE : Formule instaurée par Innocent III contre les déviants italiens, Ad eliminandam, 1207, qui posait le principe de la destruction de la maison des hérétiques. [Ed. du texte latin in P. Gilli, J. Théry, 2010]

« La maison où un hérétique aura été accueilli sera détruite de fond en comble ; que personne n’ose la réédifier et que devienne dépôt d’ordures le lieu qui fut repaire des perfides ».

Le livre des sentences de Bernard Gui / trad. et annotations par Julien Théry.- CNRS éd., 2018.-